2 mars 2011

Autres choses


Diabologum - #3




Ce n'est pas tant une chronique de disque. Puisque, ce n'est pas tant que ça un disque. Autre chose. Autre chose dans mon expérience de vie. Il y en a quelques uns comme ça, des objets qui rentrent à l'intérieur de soi-même, qui y sont rentrés il y a bien longtemps, et qui depuis ressortent à chacune de nos paroles, de nos prises de positions dans le monde. On en a tous à l'intérieur de nous, de ces joyaux qui nous marque depuis toujours et à jamais. C'en est un. Un bon gros.

Je me rappelle l'écouter sur ma mezzanine, jeune enfant. Je n'y comprenais pas grand chose. Je répétais les mots. De la neige, de la neige, de la neige en été ! A force, ils sont totalement ancrés en moi. Des mots simples, banals. Avec de temps en temps des écarts, des mots savants qui ressortent de la masse, et viennent enfoncer le sens. Je les comprenais, dans le sens trivial du terme, "mettre à l'intérieur". Je ne voyais pas ce que cette œuvre pouvait avoir d'inaccessible, de difficile d'accès. Après tout, ce n'est que des monsieurs qui grattent, qui tapent, qui chantent, qui s'amusent. Alors on l'écoutait entre deux parties de bonshommes plastiques, ou tartines de patte chocolatée.

Puis j'ai grandi, et le monde avec moi. J'ai compris que derrière cette image de neige estivale, il y avait autre chose. Qu'il fallait voir plus grand. Que ça parlait aussi de ce décalage entre ma vision idéaliste, et la réalité concrète. De ce désordre apparent. Des multiples dérèglements qui viennent entraver le rêve. Que le son de guitare gras et bruyants, était un mélange de la fond et du forme. Que ce ciel gris mortuaire, était ce qui m'attendait à la sortie de l'école.

J'écoute. J'écoute. Je vis à gauche à droite et j'y reviens encore. Je continue d'ouvrir les yeux. Le constant se prolonge, creuse, creuse. Ce n'est pas perdu pour tout le monde. Oui, c'est vrai. Il faut en profiter. Pardi, ça c'est bien dit. Et ça ne gâche rien. Il est vrai qu'on s'amuse bien tout de même. Il y a, entre ces nombreuses dissonances, amas boueux, une sorte d'espoir. Quand la guitare vire dans les aigus, c'est bien cela que ça veut dire, que ça implique. Et puis tant qu'on peut jouer aux champions.

Puis ça continue. La voix morne, plate, inexistante. Une voix qui ne chante pas, qui est en perpétuel échec oral et mélodique. Cette manière de partir de faits réels, anodin, pour faire surgir le sens infini. Les guignols de l'info c'est rigolo. Il ne parle de rien, pour parler du rien. La plaine sonore en fond, le bruit qui ne s'arrête pas une seconde. Plus je vois cette pourriture, la remarque, et m'en extrait. Et plus je me sens bon.

Empilement d'années. Rendu par cet empilement de faits. Cette constellation de destins, d'impasses. Alfred trouve que sa vie est devenue trop ennuyeuse. Qui misent bout à bout constituent mon monde intérieur et extérieur. Les samples électroniques qui surgissent. Des explosions. Des sifflements aigus. Des petits bips caverneux. Et cela donne une chanson, cela donne une vie, un point de départ tout comme une destination. Cela donne un itinéraire de promenade, la seule promenade qui nous est possible, et qui devient donc la plus belle, la plus essentielle. A découvrir absolument.

Ça défile un peu plus. On avance dans la déstructuration, dans l'écroulement des certitudes, des croyances. Et ce constat de solitude, d'absurde devient un hymne collectif. Il n'y a rien à gagner ici, à part sortir quand c'est fini, main dans la main, de celle qui nous a choisi. A part chanter, jouer, frayer. A part détruire les murs, à part écouter cette longue ligne de guitare qui me berce, qui se ballade en montagne russe en se reposant sur les roulements de peaux de tambours. A part crier haut et fort, et dépasser, se dépasser, tout dépasser. Il n'y aura rien à gagner ici. A mes oreilles, le sens devient inverse. La rage devient combat actif contre le mal.  Devient appel à aller ailleurs, devient message rassurant quand à la pourriture environnante, que je ne suis plus le seul à percevoir. On passe d'inquiétude à révolution.

Ce n'est pas de l'optimisme creux, de l'espoir bisounours. Il n'y a pas de fin heureuse. C'est autre chose. C'est le mouvement post-tragédie, c'est l'action malgré la paralysie dramatique. On ne peut pas dire, pour eux, ça va bien, eux, ils sont heureux. On ne peut pas dire, c'est parce que j'ai raté le coche, c'est parce que ce n'est pas encore mon tour, que moi je ne surf pas sur la vague, mais bientôt j'emménage dans un château rose en Espagne ... Non. Il n'y a pas de réalité fictive et merveilleuse dans laquelle il est très dur de se reconnaître en temps de chute. C'est un plat morne et triste, où la moindre agonie orale devient acte de puissance. C'est de la pop qui fonctionne même au beau milieu d'un cimetière mondial. C'est un premier pas vers le dépassement de la morosité ambiante.


Puis je pourrais continuer encore longtemps comme ça. Parce que je n'ai pas tout dit, et qu'à vrai dire, je continue à en apprendre. Je pourrais me faire une mauvaise psychanalyse. Partir de cet album pour décrypter tout les symboles qui jonchent ma route. Parler du monologue cinématographique. Parler des autres paysages. Parler des silences. Parler des arc-en-ciels posthumes. Parler de la dissonance harmonique. Parler des mots qui me hantent. Parler. Mais je laisse l'orgue de fin, la musique d'enterrement de notre génération vide faire le boulot de clôture. Et cette voix punk

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