13 mai 2012

Fumée sur l'eau #2


Cette année encore, Tympon est allé voir là bas. Lac, Apéro, et Jazz.


Ça a commencé par un questionnement problématique. Une tentative de définir la musique, qui entraine longs débats internes externes, n’aboutissant qu'a des conclusions subjectives et interchangeables.

Par exemple, on peut penser que la musique est

Un agencement de structure, de forme, de montée, de descente.
Une retranscription des son du réel comme si l'on vivait milles vies en une chanson.
Une création artistique initiée par l'humain qui chemine dans l'obscurité.
Une étude harmonico mélodique de l'orchestre universel.
Une onde qui fait vibrer l'hydrogène de notre corps.
Un système avec ses règles et conventions qui prend sens grâce à notre ouïe.
Une porte qui grince par laquelle la vie émerge.
Un indéfinissable.
Un processus de définition irrationnel.
Un "ce qu'il reste une fois que l'on a tout enlevé"
Un bla-bla qui tend au silence
etc etc etc...

Ça ne nous aide pas beaucoup. Tout ça semble complexe.



Pour se sortir de l'impasse, on peut directement réfléchir aux moyens de montrer cette musique, de l'écrire, de l'approcher, de la jouer ou d'y jouer. Que cela soit pour des oreillistes tymponistes, ou pour ceux que l'on appelle communément musiciens. Parce que résoudre une de ces questions, c'est les résoudre toutes en même temps. Essayons de réfléchir.


C'est sûr, on peut simplement écouter. Allez là où il y a de la musique, du rock bonnard, de la bière au refrain, du chahut au break. Se contenter de chanter les lignes mélodiques, taper du pied en rythme, savourer une bonne partie des Funeral Party. Et dire fièrement, j'y étais.


On peut mettre des mots, une succession de notes prémâchées pour créer sans trop se fatiguer. Raconter. Les deux amis en blancs. Ils s'introduisent par des coups grattement de mains. Font un une-deux blind test. Bob, Joe, Led, du fait maison, du fait villa, de l'irlandais. Applaudissement. Un peu vieux, vieillis. Ridé mais bien conservé. Des lambeaux de jeunesse. De l'héroïsme pompeux. Cela serait mieux avec plus de fougue. Souvent trop tranquille, comme figé. C’était comme ça avant, ça l'est encore. Antiquité. Une démonstration de technique cérébrale et sensitive.
Pourquoi pas.


Ou alors on va du côté de l’énergie efficace, Ladell McLin, genre gros blues égocentrique qui balance mémé sur son rock in chaire et en os, jongleur et pas troubadour, danse devant la scène, dans nos gueule, vous aimez les riffs débordants de whisky et bien moi aussi, ça vaut ce que ça crache et pas beaucoup plus, mais ça crache beaucoup et même beaucoup plus, il attrape sa guitare, lance un regard sauvage nonchalant alors que sa camarade en botte cuivrée enroule les cris de ses rythmiques, tagadam tagadam, vas-y mon gars, balance tes rafales, un peu de décadence de nous fera pas de mal, rolala ces jeunes qui s'agitent pour un rien, un bordel cathartique, bam bam bam, y'a surement un peu de sex drugs and rock'nd'roll là dedans, vlam vlam vlam, soyons indolent jusqu'au larsen final, prenons autant de place que l'on peux, les notes sont super sexy quand elles se trémoussent, agitent leurs popotins bien modulés, et hop, un brasier en clôture, invincible arrosé et jouissif.

Mais peut être qu'il vaudrait mieux communiquer plus naturellement. Revenir à l'essentiel, sans en faire des tonnes. Comme si l'on était assis autour d'une table, à partager quelque chose d'intime.


C'est ce que fait Bla Bla King. Il a inventé le blues, il a joué le blues, maintenant il nous cause du blues. Comme si l'essence du blues était ces paroles légères, remplies de métaphysique au fil de l'eau, celles que l'on jette entre deux chansons alors qu'en fond il ne subsiste qu'un mince accompagnement. Il les a amplifiées, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que ces interstices, ces entres-rien. C'est le comble d'un musicien de blues, éprouver une telle mélancolie, que sa seule présence nous communique de l'apaisement. Ils sont pleins à être assis à ses côtés, à échanger des infusions ensemble. Nous aussi avons l’impression d’échanger quelque chose. En étant là au même endroit, espace-temps, carrelage plafond, à gauche de la scène, deux oreilles, deux yeux, deux mains, deux syllabes pour saisir la musique.


C'est un peu magique. Même si l'instrument est unique, il existe de multiple manière d'en jouer. A l'image de ce cher Robert, qui met les choses à plat, pour mieux les disséquer sur sa table d'opération. Avec une préférence pour le phunque, ce bel animal qui par le rythme de ses gestes comble la faible taille de ses nageoire, et la sôule, le poisson plat qui ne fait qu'un avec l'esprit de la terre. Comme quoi, on est assez libre finalement. On peut prendre le temps de développer son propre angle d'attaque, et l’affiner au fur et à mesure, jusqu'à saisir quelque chose d'auparavant insaisissable.


Comme le J. Blake, la coqueluche londonienne. Des gouttes d'eaux à la surface d'un vase qui s’apprête à déborder mais qui jamais ne se déverse. Petit battement de cœur inhumain, flux distendu, voie schizophrène juxtaposant majeure et mineure. C'est intéressant parce que c'est du nouveau. Une nouvelle valeur, une nouvelle vision. Il est encore un peu jeune cependant, et manque de maturité. Trop de différences péjoratives, entre le studio et la scène, où il apparait un peu perdu, pensant que l'on attends de lui qu'il chante langoureusement devant son piano. Comme si son originalité était pour l'instant trop dur à assumer, à tenir sur la longueur. Tout ça, cette performance pour laquelle des gens versent larmes et deniers,  prend du temps à se mettre en place.


Ce qu'il faut surement réussir à faire, c'est mélanger l’évidence naturelle avec une volonté d'aller en avant. Ainsi, devant le supafunkrock de Trombone Shorty, nous sommes tous debout  sur les chaises mortes et endormies, qui se changent pour l’occasion en trampolines branlants au gré des valses. Tous à taper des mains, chanter, se prendre dans les bras, crier encore encore, transpirations, sourires, envolées, encore, on aime ça, on ne sait pas trop pourquoi mais on aime ça, ça nous réveille, ça nous touche. Un tra-la-la hors du brouhaha.


Et très vite la magie recommence, dans des conditions extrêmes, sous la pluie, l'esprit explosé. De la musique tzigane, Ziveli Orchestar, ça vient de loin, c'est de la contre culture mainstream, bobo branché, folk qui nous sort de l’impérialisme occidental, alors cela fait du bien. Sur la scène extérieure, auprès de l'arbre géant, le monde s’agite. Il pleut fort maintenant, mais des gens sont torses nus et continuent de tanguer. Et puis le souffle s'arrête, et puis le souffle recommence. On est entraîné par les cuivres, par la forte voie féminine.  C'est une forme traditionnelle, un canevas reconnu, sans mise en danger, mais très fort en émotions libérées.



Le piano est un instrument noir sur blanc, quand  il est trituré avec talent, cela saute à la prunelle. C'est vrai que Tigran Hamasyan a une manière féline de jouer du piano. Un air d'Alladin. Avec lui, monsieur le génie percussionniste Triluk Gurtu., avec autant de tours dans son sac que Babel mise en poche. Les deux sont sur un bateau, un bateau fantastique, hors des normes habituels. Ils sont sur le bateau de Sinbad, et aucun des deux ne tombent à l'eau. Nous suivons leurs folles aventures, où à tout moment, trésors merveilleux, ou lourdes coulées de laves peuvent apparaître  Il y a quelques longueurs, il y a quelques raccourcis. Mais à moins d'être sensible au mal de mer, la traversée vaut le détour.


- A une centaine de mètre du centre névralgique, sur les bords de l'eau, se dresse un ponton, soutenue par de blancs piliers. On peut s'amuser à taper dessus, à l'aide de ses deux paumes. Et cela produit différents sons. On peut même taper en rythme, et à plusieurs. Et cela fait quelque chose qui ressemble vaguement à de la musique. C'est parfois aussi simple que ça. -




Nous pensions assister à un fabuleux concert. Nous pensions aimer le mélange de chœur et de cordes. Nous nous attendions à être un peu remués, portés par un élan popesque, qui aurait recalé l'ennui à une considération relativement mineure. Nous pensions ressentir la flamme, le brasier d'Arcade Fire. Et puis non. C'est tout plan plan cul cul. C'est trémoussements niais, bain moussant trop chimique. Mauvaise fois aveugle qui voudrait nous forcer à sauter de joie, alors qu'on désir seulement soupirer. Il parait que c'est à cause de la salle, ou que ce soir spécialement, ils n’étaient pas en forme. Peut-être. Mais depuis, déçu, leur CD a disparu de la bibliothèque du salon.


Miles Davis est mort. Erik Truffaz, lui, est encore bien là. Mais Miles Davis est mort. Alors Erik joue du post Miles Davis. Il superpose de larges et profondes flaques d'émotions, soufflant milles bougies à la suite. Des couches de sensations se succèdent. Surimpression. Simultanéité.



- La tête sous l'eau du lac, on entends plus rien. Presque plus rien. Le bruit des vagues, le fracas des rochers, sa respiration, sa chair. Un très beau concert, accessible à tous. Rafraichissant. -


Toute une mise en scène, costume décors atmosphère, puisqu'il ne s'agit d'un simple concert, mais de reproduire une œuvre. Alors c'est un moyen comme un autre de combler l'absence du génie enroué, Tom Waits. Aboiements, cris d'oiseux, maquillage, costume, instruments qui s'articulent, cacophonie grotesque et harmonieuse. Une folle tape sur une pelle en fourrure blanche. L'un avoue qu'il n'a jamais rien compris aux paroles, mais que les paroles l'ont comprise, lui. Coup d'accordéon. Théâtre musical.


Il y en a qui sont amoureux d'elle. Ils écoutent les yeux grands ouverts. Aveuglés. D'autre qui ne le sont pas. Ils écoutent simplement, et cela reste captivant.

- La musique du réveil, au matin. Elle est horrible. La musique de bus, ses grincements de frein, ses portes qui s'ouvrent et se referment. Trop absorbé par les vapeurs matinales, personne ne l'écoute. La musique pour patienter, avant chaque concert. Tout le monde s'en fiche. La musique des verres. Elle est enivrante. La musique du soir, dans le duvet ou sous la couette. Elle est apaisante. -


Tout en mouvement, en processus, en surgissement. C'est difficile à suivre, à apprécier. Des tremblements. De longues phrases sans mots ni ponctuations. Des rythmes dansants. Sans sens, mais fourmillant de direction légitime.



La bande son de la vie de Miles. Un souffle d'air dans le vide. Un génie cuivrée. Une caresse. L'esprit en avant, un peu de ruminances, pour l'hommage. Il y a une partie bla-bla improvisé, entre chaque récitation calquée sur l'originale. La tribu Jazz rassemblée. Les fantômes des anciens jazzmen qui viennent hanter le décor. Le vide à travers l'or des trompettes, l’ivoire du piano, la chair de la batterie. 


- Marcus Miller distingue deux choses dans l'éventail du musicien. La technique, et le feeling. Aussi, il est important d’écouter, de s'imprimer sans cesse de motifs, de son venus du monde extérieur, comme il est important de s'isoler, seul avec soi-même, pour mieux s'exprimer dans sa singularité.-



Comme un timbre à la poste, du post pop rock electro. La dépesanteur. Quatre musiciens qui répètent dépesanteur, qui le collent sur l'air ambiant, à l'aide d'artifices, d'effets translucides. Les chansons sont beaucoup trop courtes et digestes, pas le temps de se perdre que déjà la sortie. Seulement un peu de contemplation, de respiration. Vive l’évanouissement.


- Sur les terrasses extérieures, aux abords des scènes, nous sommes toujours surpris par la musique qui s'introduit dans nos oreilles. Ça n'est pas du Jazz, comme pourrait l'indiquer l'intitulé du festival. Ni du rock, ni de la pop. Mais de l'electro techno dub steppe. Incompréhensible catastrophe qui s'abat sur nous, cacophonie contemporaine, qui ne semble pas avoir sa place ici. C'est dommage. Cela nous rappelle que ce lieu est aussi espace de consommation bourgeoise, point de rendez vous pour branchés has-been, ramassis d'ignominie moderne. -



Pour clôturer le tout, un peu de hard rock. Deep purple, eux qui ont su mettre en musique la folie locale. Ils sont vieux mais ils tiennent encore le bon bout. Ce sont les seuls qui sachent faire résonner correctement leurs guitares, dans le grand auditorium principal. Eux qui savent aussi bien mettre le feu qu'en décrire les danses, celle de la flamme, et celle de la fumée. Ça n'a pas encore vieillit. Nul besoin d'être nostalgique ou momifié pour apprécier la chose.


On pourrait se dire, au bout d'un certain moment, d'un certain vécu, que ça n'a plus de sens de parler de musique en terme de groupe, d'artiste, d'auteur, de compositeur. Qu'il faudrait écrire à propos de la musique, sans fioriture aucune. Parler du mouvement, en avant ou en arrière, et des inconnus qui le précèdent et le suivent. Ne plus parler de musique comme l'on parlerait d'une marque de lessive. Ne garder que les mots justes, toutes les combinaison de dorémifasollasi. Ne garder que l'onde vibrante, l’équation qui convient. La réelle musique, la musique du réelle. On pourrait essayer. Ça ressemblerait à de la poésie. Une musique qui saisit parfois le langage, et non l'inverse. C'est une idée. Peut-être pas le meilleure, mais certainement une des plus difficiles. Il faudrait faire une étude. D'ici là, contentons nous de ce que nous avons. Lac, Apéro, et Jazz.