28 janvier 2011

Tympon chez les Empereurs Noirs


 Godspeed You! Black Emperor




Préface

Nous y allons en stop. Parce que pour ce genre d'évènement, le déplacement solidaire, sans peur ni plan castrateur, est le seul qui convienne. L'un vient de loin, l'autre l'attend dans sa ville. Puis les deux y vont ensemble, à l'aube. La route est claire, nous n'avons pas perdu la route. C'est une ville que nous ne connaissons pas. Une grande ville disent-ils, pour ce que ça veux dire. Un vieux port. Un quartier vivant. Un disquaire bien servi. Un café alternatif. Le percussionniste s'assoit à côté de nous. Nous ne le reconnaissons pas, parce qu'il n'y a rien de spécial à reconnaitre. Nous buvons des feuilles et du houblon pour essayer de se remettre en forme. Impossible de dormir, de faire une sieste. Les villes ne sont pas construites pour cela. L'heure avance. C'est la bonne heure, en un mot, le bonheur. Un concert en hommage au Diamant Fou. Ils sont deux, ils auraient voulu être plus, mais ça n'a pas pu se faire. Le projet est un peu bancal dès le départ, il n'ont pas eu le temps de bien apprendre les chansons, d'autant qu'elles sont particulièrement dures à mémoriser. Il était un peu fou, comme compositeur celui là. Une partition est nécessaire, pour servir de souffleur. Seulement le pupitre n'est pas arrivé. Ça tarde à commencer. Le monsieur aux longs cheveux s'excuse milles fois, il est honteux. Mais les chansons sont jolies, en duo acoustique électrique. Les Dominos qui tombent dans les oreilles, pour les échauffer. Emily qui nous apprend à l'observer, à ressentir son aura de jeu. Un Globe Obscur, souvent joué par l'ami du Diamant, nous habitue à être bercé. Alors qu'Arnold gambade, nous prenons la porte, pour remonter la rue et rejoindre la grande salle, l'Espace Édénique.


Prologue



Du monde fume devant. Les portes sont ouvertes alors nous rentrons. Les vigiles sont là pour la farce, ils ne remarquent pas le couteau rouge à croix blanche, ou la flasque métallique. Un panneaux rappelle l'interdiction d'introduire caméra, magnétophone, appareils photos, toutes sortes d'engins moderno has-been. Et les stylos, les stylos sont interdits. Heureusement, ce n'est pas (encore) le cas des yeux oreilles neurones ... L'accès au bar semble compliqué. Il y a eu un problème de fût. Nous nous rabattons sur les toilettes et leurs beaux robinets en verres à eau glaciale. Nous achetons deux galettes sonores, puis confions nos baluchons aux gardiens de baluchons. Nous avançons dans l'espace d'écoute, encore à moitié rempli. Au devant. Près de la ligne de frontières séparant acteurs et spectateurs, mais spectateurs pas si passifs et aliénés que ca. Assis. Les seul assis au milieu de ces statues de Pâques. On voit les pieds, les fesses. C'est drôle. La période d'attente, qui précède un miracle annoncé, possède une saveur que tout autre forme d'inaction ne parvient pas à faire ressentir. Autour de nous, ça s'assoit aussi. Quand on se relève, la salle est pleine. Collés, serrés. Des lustres au plafond, des coussins d'argents pour protéger les voisins. Le Parthénon en plus intime. Le magistral Colin s'avance sur la scène. Il est seul, mais bien équipé. Une armada de cuivres dorés à ses mains, Zéphyr dans les poumons. Premier souffle. Un troupeau de mammouth. Un énorme tremblement de l'espace. Saxo Drone. Des sons jusqu'alors inconnus font vibrer toute la matière environnante. D'un coup, le rythme s'accélère et nous assistons à une véritable avalanche digne des cataclysmes préhistoriques. C'est une célébration de l'âge de cuivre. Il y a aussi des baleines, ou leurs ancêtres de tailles supérieures. Des dahuts, des gnous. Comme l'Éclair de Providence, mais en Jazz. On entend sa respiration, son vortex d'aspiration. Il chante, en même temps qu'il souffle, en même temps qu'il tape, en même temps qu'il nous envoute. Innommable profondeur, rage primaire de monstre antique, parfait pour accompagner Lovecraft. Ou de la dubstep pour les allergiques aux beats insupportables. De l'electro ambiant pour ceux qui ne supporte pas l'électronique. Il est un peu ventriloque aussi. Ou bœuf qui beugle, grenouille géante qui croasse. Comme dans les plus belles fables musicales. Le public est totalement conquis par cette fête tribale. Nous applaudissons. Nous remercions. Nous ne cherchons pas à aller boire, à aller uriner ou prévenir notre grand mère que nous ne  mangerons pas ce soir à la maison. Ça se rapproche. Ça se colle. Voilà, les ampoules s'éteignent, il fait tout noir. Plus de lumière, plus de rêve, plus rien


Récit



Une nappe sonore gronde en fond d'oreille. Sur le fond de la pupille, le mot Espoir, écrit à la main, projeté en 16mm, s'agite en blanc. Un à un ils apparaissent, sous nos clameurs et le ronronnement des camarades. 8 sur scène. Habillés pour une bouffe entre amis. Le projectionniste, à l'arrière, comme chef d'orchestre visuel. Moya. Lettres mortes de testaments muets, rues désertes d'utopies abandonnées, rails d'enterrements, incinération de violon, visage inerte. Puis guitare qui traverse l'allée, comme les poussières d'un western. Chaque note semble être séparé par un immense néant. Et pourtant chacune d'elles s'entremêlent, s'additionnent, se reproduisent avec aisance. 10 minutes, c'est si court pour une chanson, pour une vision, une vie. Albanian. Ça se corse. Violent et inoffensif, sans aucune nuisance. Mais violent, plus violent que le cauchemar d'œdipe. Des rives brumeuses défilent, frappées par des éclairs. Des strates qui se superposent au fil de l'éternité pour donner naissance à d'amples montagnes. De plus, cette epopée là n'est pas encore gravée sur galette. C'est un territoire presque inconnu. A un moment il y a comme un retournement, on pénètre à l'intérieur du tsunami diluvien plutôt que de se voir noyé par celui ci. Flottement divin. Trace des des cratères. Monheim. Plage dépeuplée. Grande roue vide et immobile. Lieux de loisirs en faillite. Souvenirs ternes. Solution d'apparence opaque, formé d'un amalgame de mélancolie et de nostalgie, qui sous l'effet d'une lente infusion, se transforme en magnifiques arabesques aériennes. Ou comment à partir de larme on construit un radeau volantPolice du monde et tir ami. Perdus parmi les flammes, les usines, les volutes de fumée. Bataille de cordes, de peaux de tambours. Des torches apparaissent et disparaissent. Des émotions oubliées refont surface. Les cloches du xylophone raisonnent plus fortement encore que le réveil du matin. Toujours, au bout d'un moment, sans que l'on s'en aperçoive, on est mené au loin, à l'intérieur et à l'extérieur de soi. Le monde en feu. Un simple constant, sans doute. Elle rêvait qu'elle était un bulldozer, elle rêvait qu'elle était toute seule sur un terrain vague. Le ciel bleu et ses nuages blancs. L'océan et l'horizon qui lie les deux. D'abord de petites respirations, des balbutiements ridiculement naïfs. Des vagues éphémères destinées à s'effacer. Puis le surgissement de la vie, soudainement, cet instant là résume tout nos sauts de joie en quelques flèches qui se dissipent à la vitesse de la lumière. Une abeille sur une fleur. Une goutte de rosée sur une feuille. Des bruissement d'arbres. Le difficile retour au bonheur, après la folle agitation, réussir à récupérer cette euphorie en toute sérénité. Plusieurs illuminées lèvent leurs poings comme des antennes vers le paradis. Longues images contrastant avec les anciens clignotements. Continuité quantique comme symbole du vivant. Affirmation de l'existence de la lumière par la possibilité de rêver lorsque tout est mort noir obscur, et démonstration de ce cogito par images oniriques projetés sur abîme. Chutes de roquettes sur chutes de roquettes. Une décharge sur le bord de la route. Les camions passent, les ordures restent. Des machines l'agrandissent, le remuent, l'arrose de débris frais. Alors la rage monte. L'envie d'insurrection interne, de réappropriation du réel. Chants de cordes distordus, cordes vocales écartelées sur un manche. C'est recyclé. L'H le recycle, au fil de l'eau, en fait de nouveaux fléaux. Toutes nos consciences en perçoivent le reflet, et ce qui se trouve à l'origine de ce mensonge. Ruines de bâtiments, de civilisations, d'univers. Bien évidement, cela est très bruyant. Le désordre augmente. Il y a cent ans, on aurait pas été capable de créer, de comprendre une telle musique si dissonante et harmonieuse. Il y a cent ans, nous n'en étions pas encore à coloniser les cygnes ou les pélicans. C'est une musique en accord totale avec son temps, avec la croissance inéluctable de l'entropie, avec l'augmentation de la puissance dispersée et disponible. Si elle évoque l'apocalypse, c'est que notre époque elle même en est un prélude fictif. Ce n'est pas une musique qui va chercher autre chose, à la recherche d'une n-ième transcendance soumise au joug de l'imaginaire. Juste ce qu'il y a là, de l'immanent, de la vie rassemblée dans une salle, un soir d'hiver, pour se réchauffer le cœur, les orteils et la pliures des sourcils. Dead Metheny. Des plans de mégalopoles. Le train passe. Il avance à grande vitesse, suivant le chemin tracé par les rails. Des paysages en couleurs se succèdent des deux côtés du cadre oculaire. Nous observons avec envie ses fragments de voyages, de libertés. Ça monte. Incroyablement intense. Sommet trans-everest. Ne sais ne sais ne sais plus. Sommes où nous où sommes nous. Où ? Qui ? Quoi ? Comment ? Pourquoi ? Je me rappelle. Je suis, je suis, ca veut dire quoi je suis ? J'existe, alors c'est ça, j'existe, je sens ressens part reviens souviens et deviens, vis vivais et vivrai, alors c'est ça, la métaphysique omnipotente, la seule et unique vie, la seule et unique chose qui me suit, poursuit assidument, cette abstraction concrète, ce concept bancal qui se prolonge se multiplie se climatise et se bourgeonne. Oh, je sais, j'allais oublier, de la musique, que font-ils ? Qui sont-ils ? Ce ne sont personne, et ils ne font rien. Ni musique, ni musiciens, ni spectateurs. Car ni codes, contraintes, entraves, enclaves, séparations, frontières. Dépassements, débordements, beaumissures. A la fois ensemble et distincts, bruyants et discrets. Nous sommes ondes et particules, youpi youpi tra-la-la. Je voudrais sauter très haut mais je n'en ai pas besoin, je voudrais mourir milles fois mais c'est déjà fait. Mise en commun de nos solitudes exacerbées, de nos désespoirs lancinants, de nos êtres bien plus qu'immortels, afin de déployer une prodigieuse énergie. Si dé si dé si dé mis en orbite lunaire Neptune voie lactée galaxie sidérale sidérée, ça nous a sidéré. BBF3. Il y a une suite, c'est ce qui est bien avec le bonheur, c'est qu'il y a une suite. Souvent elle n'apparait pas, on la devine par une formule tel qu'ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. Mais là elle est devant nous. Simple et efficace. Une alarme rouge qui crie. Des écrans spécialistes de l'aliénation. Des H qui se révoltent, après s'être épanouit, une fois leurs batteries chargées à blocs. Une procession de notes qui revient, éternel retour, se répète, mais pas pour signifier une absence de renouvellement, mais parce que tout est dit, du Big Bang fondateur à la fin du monde finale, en passant par l'éternité. Nous n'avons plus de jambes, plus de gorges, plus d'organes, de peur ou de rancœur, de regrets et de peine. Dernière vibration, celle d'un cercueil qui se brise. ESPOIR. Nous tapons de nos mandibules carboneuses. Pur réflexe. En réaction à la fin.  
N N A E.




Epilogue

Une dame tapote son clavier, elle écrit, froid long et chiant, soif mal partout et fatigué, mauvais. Un monsieur raconte à un autre monsieur, derrière c'était beaucoup mieux que devant, devant le son était naze. C'était pas possible d'apprécier quoique ce soit devant. Ils jouaient beaucoup trop fort en plus. Ah bon ? Moi j'ai trouvé qu'ils ne jouaient pas assez fort. Y'avait une fille à côté de moi qui chantait comme une casserole, et la musique ne cachait pas sa voix. Horrible. Putain, moi je suis sorti en pensant que c'était presque fini, et en fait ils ont joué pendant au moins une heure après ! Comment ca se fait qu'ils n'aient pas dit un mot, ils se prennent pour qui ? On fait l'effort de payer un paquet de tune pour les voir, et même pas ils nous disent bonjour. C'est un manque de respect. Trop cool. Je vais aller faire dédicacer mes CDs. Il y a une pochette alternative de leur premier vinyle, je l'avais pas alors j'ai pris. Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau. Entendu tu veux dire. Oui oui, c'est ca. Comment tu dis que ça s'appelle déjà ? C'est sympa en tous cas. Spécial quand même. Dommage qu'il n'y ait pas de chanteur. Elle avait les oreilles qui sifflaient. Au début c'est drôle, mais après c'est toujours pareil. Alors les jeunes, c'est quoi que vous êtes allé voir ? C'est quoi ce truc ringard ?! Du post Rock ? Non ? Mais c'est quoi alors ? Vous savez qui sont les rois du punk rock ? Les vrais rois ? Les Clash, ça c'est la classe. Votre truc là, c'est des ramollos du zizi. Vous êtes tous endormis les jeunes. Réveillez vous ! Faut tout faire péter ! De mon temps, on était fou, on hésitait pas ! Vive l'insurrection ! Bon allez, vais me coucher. Bonne nuit les jeunes. Il est bien ton vinyle. Le mien aussi il est bien Par contre, l'affiche et le tee-shirt, bof bof. Une gorg' de 'sky ? Pas si froid que ça. Ils rentrent le matos. Ils commencent à se faire vieux tout de même. Regarde, celui là a des cheveux blancs. Je l'avais pas reconnu, avec Silver Zion, il a une autre dégaine. Ça en fait des caissons d'amplis. J'espère qu'ils vont continuer. Enregistrer un nouvel opus. Oui, ca serait bien. C'est con que mon pote n'ait pas pus venir. Il avait la flemme. Dommage. Bon, on se bouge ? Bon voyage camarade. On va marcher, manger un kebab, marcher encore, trouver un hall d'immeuble pour passer la nuit, et demain matin on s'remet sur le bord de la route, pour arriver avant midi chez mes vieux. Allez. La vie continue.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire