23 décembre 2009

Pop d'amour





Okay - Huggable Dust



Puisqu'il y a tellement de gens intelligents, utilisons leurs idées, et servons-nous de l'œuvre de Roland Barthes pour parler de cet album. Le discours amoureux ( ou Fragments d'un discours amoureux ) présente toutes les figures du discours amoureux, les théorise, les explique, les explore. Le grand Barthes se sert de Souffrances du jeune Werther de Goethe, nous on va se servir de cet album, et relever méthodiquement les figures du discours amoureux. Et puis comme on n’est pas aussi intelligent qu'on en a l'air, on va piocher allègrement dans le livre de Barthes pour l'explication des figures. Et il y en a des figures, parce que cet album ne parle que d'amour ou peut-être de l'amour, et il en parle amoureusement. En plus ça me fait travailler mes cours...



Figure 2 : Abime
"I'm afraid, I'm no fun, I'm nothing, I'm no one.
All the fight that you won, what the hell has it done"
Les tristes notes qui apparaissent tout au long de la chanson Asleep. Le long silence de début, puis le petit rythme qui bat comme un cœur. "tum tum tum tum tum tum tum".
Et plus généralement la voix torturée tout au long de l'album.

Un certain mode d'anéantissement du sujet amoureux, qui tombe et se perd.

Parce que l'aimée de Marty Anderson, unique membre de Okay, est partie avec un autre. Et qu'à cause d'une horrible maladie, il est obligé de rester dans sa chambre. Du coup il compose de la pop de chambre, dans sa chambre.


Figure 3 : -aime
"All that I'm gonna do/ need / give is love
It's so simple, all I'm gonna do/ need / give is love"

Bien que le mot n'apparaisse pas tant de fois que cela au cours de l'album, il transparait entre chaque note. La simplicité des mélodies, des arrangements musicaux, la position de la voix, le fait qu'elle se répète sans cesse. Parce que quand on aime, on aime. Et que même si le temps de lecture avance, on fait toujours la même chose : on aime.

Je t'aime est un mot total. Aime est un mot poétique par excellence : départ de mille métaphores, mais lui-même n'est métaphore de rien.


Figure 7 : Attente
"And oh, some days are so long"
"I pray each time I leave your loven arms"

Si une seule définition était possible du sujet amoureux, ce serait celle-ci : le sujet amoureux est celui qui attend, de toutes les manières. De l'attente fondamentale et comme permanente du comblement, de la présence, jusqu'aux attentes les plus contingentes, non moins angoissantes : l'attente d'un rendez-vous, d'une lettre, d'un téléphone, d'un message.[...]
Peur de la perte de l'être aimé, panique. Le sujet amoureux désire la présence de l'être aimé, comme si cette présence était la vérité ; et l'attente est l'épreuve de cette vérité.

Une fois que l'album est fini. Il n'y a plus qu'à attendre qu'il recommence...


Figure 8 : Autre langage
Le chanteur n'en dit jamais trop. Ce sont de petites phrases, sans beaucoup de mots. De petites phrases simples, qui ne rendent pas le tout horripilant. Même les ventriloques ne peuvent vraiment parler avec leur cœur, ils utilisent leur estomac. Ici c'est la musique du coeur qui parle. Les chaudes mélodies, les petites envolées magiques. Ce n'est pas comme tous les chanteurs lamentables, qui parlent sans cesse de l'amour, puisque l'on parle partout de l'amour. Ils en parlent, mais ils en parlent mal.

Par cette figure le sujet pointe le frottement, la friction insupportable, " horripilante " de son langage amoureux et de tout autres langages : langages constitués de la mondanité, de la science, de la mode, de la généralité, ressentie avec horreur comme facticité.


Figure 9 : Bonté
"She has got to be the holiest beast who ever walked the earth"
Les choses qu'on aime ( ici une jolie fille) deviennent les plus sacrées du monde.
"why would you want to go on loveless?"
"I can't keep what's not there "
Mais du coup, nous ne sommes que bien peu de choses face à elles.

Figure du discours par laquelle le sujet amoureux pointe et se parle à lui-même la "bonté" de l'objet aimé. "bonté" vaut ici pour toute qualité, toute vertu "objective" de l'être aimé, c'est à dire toute qualité qui peut être posée extérieurement, hors de la relation amoureuse. C'est le Bien objectif et objectal de l'être aimé. Perfection de l'être aimé, magie de la bonté de l'être aimé, et l'exclusion du sujet aimant qui en découle.

Il n'y a aucune fausse note, ou partie agressive tout au long des 18 chansons. Que de la bonté. C'est un album composé par un gens gentil pour les gens gentils.


Figure 12 : Circonscription
" I want you to know it's alright"
"I just have to let it go"
"I didn't know that this something was really nothing in my way
But now I know that this something just has to leave so it can stay"

Cette figure vise l'impossible circonscription du plaisir amoureux. Ceci fait partie des tentatives internes de solutions : accepter les absences, l'éloignement, l'engagement de l'objet aimé pour un autre, suspendre tout retentissement dès ces vacances et se contenter de ce qui est donné par le réel. Vœu impossible, celui qui défie l'être, le nom même de l'amour.

Figure qui se retrouve beaucoup dans l'album. Après tout, la jolie dame est partie. Quelque chose a mal tourné, et du coup il faut bien faire avec. Seulement c'est impossible. Mais comme on est des gentils messieurs, on reste là sans l'embêter. Lui il a choisi d'en faire un album pour passer à autre chose. Henri Miller faisait un livre pour oublier une femme. Nous on peut écouter cet album et essayer d'oublier, aussi. Je ne vous conseille que trop peu de lire Henri Miller d'ailleurs.


Figure 14 : Cœur
"It's my heart you got"
"You are my heart"

Une note érudite dit : " Saint-Preux aussi parle souvent de son coeur et le met au-dessus de tout" Le problème n'est pas du tout là : il ne s'agit pas d'une proéminence ( historiques) des valeurs affectives ( romantisme) mais d'une agression du monde contre le sujet amoureux. Donner son cœur. Cœur : ce qui se donne pour rien.

À vrai dire ici ça n'a pas grand-chose avoir avec la figure telle qu'elle ait décrite par Barthes. Disons peut-être qu'à travers cette chanson, en plus de parler à tous les jolis gens du monde ( joli au sens large), Marty Anderson nous parle à nous. Nous qui possédons ses chansons dans lesquelles il parle avec son cœur, avec toute la vérité qu'il possède.


Figure 18 : Créativité
"I could write you a novel tonight
I could write a new song each day
It's a natural part of my day"


Il pourrait écrire beaucoup de choses. Mais dans les faits, il n'a fait qu'un album en 3 ans. L'avant-dernier album d’Okay, High Road / Low Road remonte en effet à 2005. Alors qu'au temps de Dilute ( ancien groupe de Marty Anderson, fantastique ), on a eu droit à deux chefs d'œuvres musicales à la suite. The Gipsy Valentine Curve en 2001 et Grape Blueprints Pour Spinach Olive Grape en 2002.

La figure pointe un paradoxe : énorme mythe culturel, doxa lourde, selon lesquels l'Amour enflamme et nourrit la créativité. Mythe romantique français : j'exprime mon amour dans une créativité immortelle.
[...] Explication plus large : c'est L'Imaginaire même qui bloque la création en tant qu'il est coalescence du sujet et de l'image. Le sujet est collé à l'image.


Figure 19 : Déclarationnisme ( avec deux "n" comme "révisionnisme")
"I start speakin' too soon
When I look at the moon
Light on your face
I'm not one to be proud
But I'll say it out loud
You are my heart"

Pulsion du sujet amoureux à entretenir abondamment, avec émotion ( et une éloquence plus ou moins creuse) l'objet aimé, de son amour, de lui, de soi. Sorte de conduite autonymique : le rapport amoureux se met en scène lui-même, parle de sa propre forme : il se déclare.[...]
Le message est comme une caresse, un frôlage ému.[...] Flux de paroles désirantes, c'est-à-dire la part royale de l'hystérie amoureuse. Enfin, et ceci va bien après le meurtrier de l'hystérie - se rappeler toujours le rapport entre amour et hypnose.

Ici c'est tout l'album constitue un exemple de déclarationnisme. En plus de nous parler ( chanter ) amoureusement, Marty Anderson nous ensorcèle avec sa petite voix en mélodies naïves. On est bel et bien hypnotisé. Il arrive à se contrôler, à ne pas se mettre à raconter des bêtises ou crier hystériquement, et ainsi ne fait pas "peur".


Figure 32 : Exprimer ( Expression)
"More than you know
More than I can show
It's my heart you got"

Ensemble dispersé de traits du discours par lesquels le sujet dit : son besoin irrépressible d'exprimer son amour et son impossibilité à le faire.

Ce que les paroles n'arrivent pas à exprimer, la musique s'en charge. Les notes se font tantôt hésitantes, dansantes, ou déterminées à finir dans nos oreilles.


Figure 34 : Fatigue
"I'm tired"
"Half asleep, half aware"
"What a nightmare to love"

Cette fatigue de l'Amour doit être signalée comme dépense extrême du corps amoureux, dépense physique ( l'Amour est énergie et dépense d'énergie). D'où la compensation paradoxale : dormir. L'amoureux dort.

La dernière chanson, peut-être la meilleure, Asleep, insiste bien sur cette fatigue inhérente au fait d'aimer avec passion. Ce qui est bien c'est que pourtant, une fois que le CD a fini de tourner, nous ne sommes pas fatigués. La légèreté des chansons fait que même au bout des 58 minutes on n’est pas fatigué. Pourtant la voix plaintive, les sonorités bancales pourraient horripiler, mais non.


Figure 47 : Inscription
Le fait qu'il parle de son amour. Le fait que je parle de cet album.

Inscrire quelque part ( partout) le nom de l'objet aimé ou la mention de la relation amoureuse.


Figure 59 : Musique
Le fait qu'il est magnifiquement mit tout ça sous forme de musique. Le fait que j'aime autant cette musique parce qu'elle me rappelle des choses, et qu'elle me soulage. Parce que c'est tellement simple et vrai qu'on peut facilement s'y identifier suivant ses aléas amoureux, et y soigner son cœur, le pacifier et éviter tout "délabrement".

Association privilégiée de la musique et de l'amour, effet exaltant et pacifiant de la musique sur le "délabrement" amoureux.


Figure 61 : Oblation
"But oh, that don't change where I belong
My love, no that don't change at all"
"I want youuuu .....
I want youuuuu ......
To be happy"

Figure précise par laquelle le sujet amoureux fait don à l'objet aimé de deuil dans lequel il va être plongé en décidant de la quitter : " Je ne t'en veux pas de la souffrance que tu me causes", "Je te pardonne".

C'est surement cela qui rend l'album si beau, c'est l'absence de rancœur, de haine. C'est l'espoir et la joie entre chaque respirations et note. La dernière partie de Natural, où après avoir répété "I want you" tant de fois, on entend "to be happy". Je ne sais pas pour vous, mais moi je le suis, heureux, suite à l'écoute de la galette musicale.


Figure 81 : Rythme
"There's always a downside, there's always an upside"

Le sujet constate en lui une alternance d'"humeurs " : succession de chagrins et de joies ( dans le champ amoureux).

Ce que je constate moi, c'est qu'il y a une alternance de rythme entre les chansons. Des toutes calmes ( My, Simple ) , des plus pêchues ( Peaceful, Loveless). Rajoutés à cela la variété de ton, tristes ( Asleep, Huggable Dust ) enjouées ( Only, Panda). Ainsi que de longueurs , de 7 à 2 minutes. Tout cela fait qu'il y a du rythme.


Figure 98 : Voir clair ( lucidité )
"Just today, just for fun, love something, love someone"

Conscience aiguë de contradiction entre la lucidité ( la connaissance de la situation), le "savoir" et le "vouloir- pouvoir".

Marty Anderson a fait preuve d'extrêmement de lucidité en composant cet album. Beaucoup de génie là-dedans, mais très modeste. Un joli CD qu'il faut écouter, comme le dit la réplique qui clôt le tout : Juste pour le fun, pour le plaisir du cœur et des oreilles.
Quant au livre de Roland Barthes, en plus du plaisir, cela vous permettra de ne pas refaire les mêmes erreurs la prochaine fois que vous tombez amoureux... Un peu de lucidité, courez l'emprunter à la bibliothèque du coin ( il est cher, gros, et dur à trouver en librairie).

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