La première fois que ce chant de sirènes putrides m'est parvenu aux oreilles, je n'en ai pas compris le sens, le but, la raison d'existence. Pourquoi donc ces méchants garnements s'amusent-ils à produire des sons inaudibles, répétitifs et absolument vides de toute harmonie ? Voici ma subjectivité :
La noise est avant tout une démarche plus qu'un produit fini en soi. Une expérimentation sonore poussée à son paroxysme. Le but étant de repousser les frontières, de percer la coquille, de gratter les parois de la réalité qui nous emprisonne.
La société dans laquelle nous vivons n'est pas toujours très plaisante. Nous, bourgeois ayant accès à la cuvette internet, à la boisson à gogo, à l'éducation supérieure, à des milliards de connaissances entassées sur des pages blanches. Nous qui parfois nous levons le matin avec une brume dans la tête, nous sentant seuls, un coton-tige coincé dans les oreilles. Metro boulot dodo, serie télé ou devant la nintendo. Absence de sens, impression de s'être perdu, heureux puis triste en quelque mouvement de bras. Pouvoir être tout le monde et ainsi avoir l'impression d'être personne. J'appuie sur un bouton et mon café arrive, j'appuie sur un autre et ce sont mes sushis. Devant mes yeux aliénés des Africains, qui pour changer, meurent encore et toujours. Des bites inconnues qui flirtent avec des animaux en tout genre. Mon voisin de droite me jetant son paquet de mouchoirs à la gueule, parce que je suis enrhumé. Tout seul sur mon canapé en train de mangé un bon repas qui était destiné à être partagé avec elle. Toutes ces choses horrible, chaque soir avant de se coucher, chaque matin avant d'aller pisser. L'envie de rester dans mon lit pour toujours, loin de tout. Ce que certains appellent le BLOOM, la déprime chronique, la dépression postnatale.
Pas glorieux. Un tableau assez noir. Bien sûr ce n'est pas toujours comme ça. De la même manière, il est déconseillé de n'écouter que de la noise. Simplement parfois ça arrive. Et alors, on voudrait que toute cette nous apparaisse clairement entre les mains, qu'elle cesse de se cacher entre deux moments de joie. L'avoir là, devant ses yeux, dans ses oreilles. Pour pouvoir la comprendre, et l'écraser en trois coups de cuillère à pot. Puis repartir de plus belle, en avant, échapper pour quelque temps à cette nuit qui nous pourchasse, et qu'on a laissé agonisant sur le bas-côté de la route. Parce que l'on est résistant fort, et même invincible.
En soi, courir sur une grande distance en suant, en souffrant, en ressentant chacun de ses muscles qui se tirent, n'apporte aucune satisfaction. C'est l'état second, entrainé par cet effort, le flottement de réalité lorsque l'on entend plus que le bruit programmé de ses pas sur le sol, qui nous conduit à entreprendre cette activité éprouvante. L'impression, à la sortie de ne plus être le même. D'être plus loin plus haut ou plus profond. La grande satisfaction qui en découle. Pendant quelques instants, avoir réalisé quelque chose qui sort de tout système de pensée social, bourgeois, commercial, logique, rationnel, réel, économique ou gastrique.
C'est en cela que l'écoute de noise est un acte poétique, d'un humain face à l'univers qui l'entoure. Parfois, quand tout semble vain, cela devient une necessité. Blablabla.
Maintenant que cela est clair dans ma tête et un peu moins dans la vôtre, attaquons-nous à la pratique. Voyage au centre du chaos en quelques chansons, progressivement.Certain disent que la Noise commence avec Grosse Fuge du grand Beethoven. Forcement, un compositeur sourd de génie qui compose de la musique inaudible divine, une genèse de la noise qui parait logique. D'autre avec les 4 minutes 33 de silence de John Cage. Il y a aussi toute la sphère de la musique expérimentale avec Pierre Boulez.
Mais commençons par le Velvet Underground. Premier exemple de noise " commercial". De jolis accords de guitare avec de temps un temps quelque chatouillement des parois du réel. Plus tard Lou reed concrétisera avec Metal Music Machine, mais c'est une autre histoire.
Ensuite, passons par les Stooges. Groupe d'idiot qui ne chercher plus une quelconque beauté ou classe, mais simplement à se rouler dans la merde avec le vomitif Fun House.
Grand pas temporel avec Magic Markers, faux jumeaux de Sonic Youth, pour rester dans cette hargne rock'n'roll, remous de bile.
Descendons plus profond dans la fosse septique, et passons aux Australiens The Dead C. Un ciel riche en nuages sombres et chaos celeste.Ca commence à sentir mauvais... Une petite touche d'ambiance répétitive et apocalyptique avec Boredoms.
Bifurquons par l'électron avec les récents Fuck Buttons et leur Noise Florale dont j'ai déjà parlé dans un ancien article. Histoire de sentir les nappes sonores lancinantes nous envahir.
Là, nos oreilles commencent à être rodées. Notre esprit est endurci, prêt à supporter toujours plus.
Lightning Bolt nous donne un petit stock de rage. Basse sauvage et batterie tribale pour un merveilleux arc-en-ciel à travers une couronne d'orage.
Puis, les Suisses de Shora, grésillement noir, guitare prophétique qui nous guide vers d'autres confins.
Enfin, Boris en association avec Merzbow, pour garder un fond de guitare. Désormais il fait tout noir.
Finalement Merzbow. Et là le néant musical, le BLAST dans les oreilles. Grattements de parois sur grattement de parois.Il y a surement des tas d'autres messieurs qui font des choses aussi horribles que lui. Mais c'est déjà assez dur comme ca pour ne pas avoir besoin d'élargir la chose.
C'est la première chanson que j'ai entendue, et surement celle que je maitrise le mieux. Une grande plaine en éruption.Très peu de femmes là-dedans. Aux antipodes du féminisme. C'est un peu l'inverse d'un trip-hop portisheadien.
Il y en a d'autre qui suivent, c'est toujours le même geste, mais sur d'autres surfaces de la réalité.
Je l'ai lu à haute voir pour R. et Fabien (sur mon tapis)... c'était un bon moment, quasi solennel. Merci.
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