La force des grands artistes, c'est non seulement de produire un album irréprochable (ou presque) mais aussi de soigner la pochette. Et de ce point de vue, celle de O'o se place très facilement dans les plus belles qu'il m'ait été de voir. De somptueux dessins d'oiseaux, d'une précision diabolique et d'une rare poésie. Même le livret intérieur est sublime. Quarante pages, avec chacune un oiseau magnifiquement crayonné. Sobre, simple, efficace, magnifique.
En ce qui concerne la musique, je vais vous avouer franchement que c'est une des plus grosses claques que je me suis prise depuis pas mal de temps. Ce ne sera pas le cas pour ceux qui connaissent John Zorn (du moins avec cette formation) mais pour moi, novice et initié, ça a réellement été un choc. Je ne vous parlerai pas de l'album en entier (ça serait trop long). Je ne vous décrirai pas chaque chanson avec trop de mots techniques (ça serait trop difficile). Je me contenterai de raconter l'album.
Car il s'agit bel et bien d'un voyage plus qu'un CD. Ça commence avec du jazz tout simple mais terriblement efficace : un piano qui groove, une guitare magnifiquement bien en place et surtout, la clef de cette album, un vibraphone. Car c'est lui la grande force de ce CD : un son extrêmement planant et une richesse mélodique incomparable. Le voyage commence donc tranquillement, la radio du bus allumée, l'ambiance sympa, décontractée. Et puis là, le bus s'arrête. On est arrivé. Des centaines d'oiseaux commencent à virevolter. On perçoit leurs sifflements, et on entend au loin de magnifiques plaintes inconnues. Elles sont certes répétitives (plus d'envolées auraient été les bienvenues) mais néanmoins hypnotiques. Le tout se déroulant près d'une rivière dont même le simple écoulement de l'eau se révèle envoûtant. Une fois ce spectacle terminé, arrive le moment le plus prenant, le plus bouleversant : Little Bittern. On a du mal à croire ce que l'on entend. Une sorte de bourdonnement mélodique incessant, devenant de plus en plus riche et de plus en plus sublime. On est à la limite du malsain, au bord de l'émotion, à la frontière des larmes, juste là où ça titille le cœur. La guitare et le clavier se joignent parfaitement pour former un tout d'une extraordinaire beauté. Au bout de 6:29 minutes, c'est terminé. On en revient pas. On se dit que c'est pas possible, que tout cela n'était qu'un rêve. Mais non, c'est bel et bien sur ce petit bout de plastique que ça s'est passé. Après avoir mit pause, histoire de se remettre de ce choc émotionnel, on poursuit. Then comes a Laughing Owl. Toute la splendeur du vibraphone est ici exploitée : un chant magnifique, résonnant encore dans ma tête et illustrant mes rêves les plus fous. Comment ne pas se sentir joyeux et rieur en entendant cela ? Comment ne pas succomber aux charmes de ce rapace nocturne ? Une fois envolée, nous voilà seuls, Solitaires. Et c'est parti pour une ode à la batterie, nous offrant ici un solo (tout de même accompagné des autres instruments, j'en vois qui prennent peur au fond) assez intéressant, autant sur le plan technique que mélodique (si si, c'est possible). 2:10 minutes de pur plaisir pour les oreilles et pour le cœur. Le fin du voyage approche, et soudain commence une ligne de basse d'une attraction assez incroyable. Elle semble ne jamais s'arrêter, pendant que les autres s'en donnent à cœur joie. C'est donc là que cette fresque s'achève. C'est fini. On a du mal à s'en remettre (je ne le suis d'ailleurs toujours pas). On se dit qu'on tient là un petit bijou, aussi bien esthétique que mélodique.
Après The Dreamers, John Zorn nous (re)sert ici de la très très grande émotion. Un chef d'orchestre, maîtrisant parfaitement ses musiciens (un Marc Ribbot à la guitare digne de Robbie Krieger, guitariste des Doors : d'une précision et d'une intelligence sonore monstrueuses) et la musique en elle même. Il reste tellement de choses à dire, mais je préfère vous laisser écouter tout cela, et découvrir par vous même la richesse de cet album. Je tire mon chapeau à monsieur Zorn. Et encore merci.